Les grévistes et jeuneurs expliquent leurs démarches aux étudiants de la fac à Bordeaux. Ces derniers réagissent sur cette action « belle, déterminée et innovante, rempli d’espoir »….
La parole de la jeunesse d’aujourd’hui, la parole de ceux qui feront le monde de demain…. Un document rare et encourageant….
Article paru sur Médiapart, aujourd’hui…
Les fidèles en sont restés cois, et le prêtre fort marri. Dimanche 6 avril, lors de la messe donnée dans la basilique Saint-Sernin, au cœur de Toulouse, un peu avant l’homélie du curé Bogdan Velyanyk, un homme traverse l’allée, s’approche d’un micro et prend la parole. S’adressant à ses « chers frères et sœurs », se disant « chrétien comme [eux] », ce « médecin en grève de la faim depuis sept jours » fustige « les silences de l’Église » sur la situation à Gaza et commence à lire un texte de l’évêque auxiliaire patriarcal pour Jérusalem, Mgr Shomali.
Comme en atteste la vidéo que nous publions, au bout de deux minutes, deux hommes répondant aux appels à la sécurité du prêtre lui font quitter le pupitre et l’escortent hors de l’église. Où ses camarades grévistes de la faim qui ont participé à la mise en scène de ce petit happening militant non violent ne tardent pas à le suivre.
Sur le parvis, Pascal André, le médecin qui a pris la parole, Ghizlaine Kabouli, cadre dans la finance, Khaled Benboutrif, médecin urgentiste, et Amina Mansouri, retraitée du secteur médico-social, sont provoqués par trois jeunes militants lookés cathos réacs, aux propos « virulents » selon le récit de Ghizlaine. Le prêtre vient ensuite à la rencontre de Pascal André : « Il s’est comporté comme un policier en me demandant tout mon pedigree et en m’assurant qu’il allait porter plainte. »
Contacté lundi par Mediapart, le curé Bogdan Velyanyk confirme : « Leur action n’avait rien de spontané et tout était fait pour créer la perturbation. La parole de Dieu et la liturgie doivent rester en dehors de la politique. L’église n’est pas un lieu de tribune politique, cette action dessert leur cause. Ce n’est pas une question de fond, mais de forme, c’est scandaleux. » Considérant que, lui, Ukrainien, n’utilise pas l’église pour parler de son « pays en souffrance », il assure qu’il portera plainte. La loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État prévoit (article 32) de punir « ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d’un culte par des troubles ou désordres ». Les fauteurs de trouble risquent jusqu’à un an de prison et 15 000 euros d’amende.
Mais en bousculant ainsi le ronron d’un office dominical, les quatre « personnes en grève de la faim », ainsi qu’ils et elles se présentent, ont atteint ce jour-là leur objectif : rompre le silence sur la situation vécue par le peuple palestinien à Gaza et remettre le droit au cœur du débat.
Dénoncer le drame et une forme d’hypocrisie
Pascal, Ghizlaine, Khaled et Amina font partie du mouvement Faim de justice pour la Palestine (Hungry for Justice in Palestine sur les réseaux sociaux) qui entend « rappeler à la France et à l’Union européenne que par leur inaction face aux crimes commis par le gouvernement israélien en toute impunité, elles facilitent et participent aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité ».
Avec six autres personnes, ils et elles ont débuté le 31 mars une grève de la faim. Tous les quatre poursuivent depuis un périple itinérant en France. Passé·es par Marseille, Montpellier, Toulouse, ils étaient mardi 8 avril à Bordeaux. D’autres villes sont au programme des prochains jours, si leur état de fatigue et de santé le permet. Après une semaine de grève, les quatre qui n’ingèrent « que de l’eau et des tisanes sans sucre », ont perdu « entre 5 et 6 kilos » selon leurs dires. Quatre autres personnes, non itinérantes, sont toujours en grève de la faim (à Strasbourg, Marseille, Béziers et en région parisienne) et une petite trentaine suivent un « jeûne solidaire ».
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Dans le lot figurent des soignant·es qui se sont rendu·es dans la bande de Gaza avec des ONG humanitaires en 2024. C’est notamment le cas de deux des grévistes itinérants : Pascal André, urgentiste à Rodez, et Khaled Benboutrif, urgentiste exerçant à Toulouse. C’est également le cas d’Imane Maarifi, infirmière anesthésiste qui jeûne en région parisienne. Il y a un an tout juste, tous les trois signaient déjà une tribune collective dénonçant « l’hypocrisie et le silence gêné de la classe politique et des médias nationaux ». Et ils n’ont pas cessé de témoigner de leurs expériences dans les hôpitaux gazaouis (voir ici et là). Un engagement qui leur a parfois valu d’être inquiétés par les autorités françaises.
Un an plus tard, l’inaction maintenue des dirigeants du monde face au processus génocidaire en cours (voir cet entretien avec Francesca Albanese et ce reportage à Jérusalem de Clothilde Mraffko) continue de les révolter. « En laissant les Palestiniens se faire massacrer, la porte est ouverte pour le massacre de n’importe quel autre peuple, s’indigne Amina. Jamais je n’aurais imaginé être contemporaine de cette épuration. Si ma santé se dégrade, j’arrêterai la grève. Mais aujourd’hui, je ne peux pas me regarder dans la glace si je ne fais pas quelque chose. »
Une démarche non violente
« Nos institutions ont démontré qu’elles avaient tous les outils pour pouvoir rapidement sanctionner un État comme la Russie, ce qui a été fait après quelques réunions, poursuit Ghizlaine. En Palestine, on parle d’une population abandonnée, dont les droits fondamentaux ne sont pas respectés. Nos gouvernants ont l’obligation de tout mettre en œuvre pour que les crimes contre l’humanité perpétrés par Israël cessent. »
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Le mouvement Faim de justice pour la Palestine entend ratisser large. À Marseille, les grévistes ont tenté, sans trop de succès, de dialoguer avec des artistes ; lors de l’étape montpelliéraine, ils ont pu échanger avec un rabbin, une pasteur, deux imams et un prêtre ; à Bordeaux, mardi 8 avril, un échange avec les étudiant·es de l’université est programmé. « On sollicite les responsables politiques, le monde médiatique, le milieu artistique et culturel et les milieux cultuels pour leur rappeler que nous sommes obligés de respecter le droit international et le droit humanitaire », résume Khaled.
Connectés avec l’ensemble des composantes du mouvement de solidarité avec la Palestine mais non partisans et restant prudemment à distance des récupérations politiques, les quatre mettent en avant le caractère « non violent » de leur démarche. « C’est notre porte d’entrée, nous avons une approche de soignants, basée sur l’éthique et le droit », insiste Pascal, désignant quelques « leviers » que le mouvement tente de promouvoir auprès des dirigeants, en particulier l’arrêt des ventes d’armes à Israël, et le respect des décisions de la CPI.
« On est dans un moment où rien ne marche, rien n’arrête le carnage en Palestine », constate l’ancien député (2017-2022, d’abord LREM, puis EDS puis non inscrit) Sébastien Nadot qui fourbit aux grévistes des arguments sur la question des ventes d’armes. « Ces gens s’affichent non violents, incitent au calme, parlent de droit et de dialogue. Dans le contexte actuel, leur initiative est très louable et j’espère qu’elle aura des répercussions. Ce sont des objecteurs de conscience », apprécie en connaisseur cet ancien membre de la commission des affaires étrangères, qui s’était fait remarquer dans l’hémicycle en février 2019 en brandissant une pancarte « La France tue au Yémen » et avait été sanctionné par Richard Ferrand. « Ils ont une position et un discours cohérents. Et leur démarche comble un vide politique », ajoute-t-il.